En 2025, 47 % des Français indiquent limiter leurs achats de produits d’hygiène pour des raisons budgétaires. Plus de 8 millions de personnes doivent choisir entre se procurer de la nourriture ou des produits sanitaires. Ces chiffres sont issus du baromètre que publie chaque année Dons Solidaires, en partenariat avec l’IFOP, sur la précarité hygiénique en France. Ils démontrent une réalité dont on parle peu et qui touche pourtant une grande partie de la population française. Cette méconnaissance engendre de nombreuses idées reçues, que nous analysons dans cet article.
« La précarité hygiénique n’existe pas, ce sont seulement des gens qui sont volontairement sales. »
La précarité hygiénique désigne la difficulté ou l’impossibilité d’accéder à des produits de base ou à des infrastructures essentielles (douches, eau courante, sanitaires). Ce n’est pas un manque de volonté personnelle, mais une conséquence directe de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
Quelques faits concrets :
- De nombreux individus sans domicile fixe ou en logement instable ne possèdent pas de baignoire ou de machine à laver.
- En ce qui concerne les femmes qui ont leurs règles, les serviettes et tampons coûtent en moyenne plusieurs dizaines d’euros par an, une dépense hors de portée pour certaines étudiantes ou mères isolées.
- Les associations qui distribuent des kits d’hygiène sur le terrain constatent une demande importante de la part de leurs bénéficiaires.
Parler de manque d’hygiène personnelle stigmatise et culpabilise des êtres humains déjà fragilisés. Ce n’est ni un choix ni une négligence, mais une conséquence directe de l’injustice sociale.
« Le savon ne coûte que 1 euro, donc la précarité hygiénique n’existe pas. »
L’hygiène ne se résume pas à un savon. Au quotidien, nous avons besoin de dentifrice, de brosse à dents, de shampooing, de déodorant, de papier toilette, mais aussi de protections menstruelles, de couches pour bébés et autres. Des dépenses qui s’accumulent et qui représentent un vrai budget.
L’argent n’est pas le seul problème. Certaines personnes vivent dans des logements sans salle de bain, ni eau courante, ni lave-linge. Dans ces conditions, le savon ne suffit pas à maintenir une bonne hygiène corporelle.
Les conséquences sociales et sanitaires sont dramatiques. Le manque de propreté entraîne honte, isolement, perte de confiance, mais aussi des soucis de santé comme des infections, des caries, des maladies de la peau, etc.
En résumé, le prix d’une savonnette ne reflète pas la réalité de la précarité hygiénique. C’est un problème global d’accès aux produits, aux infrastructures et à la dignité.
« Ils n’ont qu’à faire leurs produits maison, ça ne coûte pas cher. »
Fabriquer ses produits maison demande des moyens. Il faut acheter les ingrédients (bicarbonate de soude, huiles essentielles...), le matériel (fouet, pot en inox...) et avoir un espace pour les préparer et les stocker.
Quand on vit dans la rue, dans un logement insalubre ou en foyer, ce n’est tout simplement pas envisageable. Préparer soi-même des produits d’hygiène suppose en effet d’avoir une cuisine avec un évier, des ustensiles propres, mais aussi de l’eau courante.
De plus, cela requiert du temps, de l’énergie et de la stabilité. Or, les personnes en précarité sont surtout déterminées à trouver de quoi manger, se loger, gérer les démarches administratives et surtout, survivre au quotidien.
En bref, fabriquer ses recettes maison est un choix confortable quand on a un budget et un lieu de vie confortables. Pour les plus précaires, c’est un luxe inabordable.
« Les gens en précarité n’ont qu’à ne pas faire d’enfants. »
D’après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (ONU, 1948), avoir des enfants est un droit universel. Le remettre en question revient à privilégier les plus riches et promouvoir une logique qui consisterait à sélectionner qui peut ou non avoir des enfants en fonction de critères jugés « souhaitables », comme la richesse, la santé ou l’origine sociale.
La précarité peut s’imposer à n’importe quel moment d’une existence. Beaucoup de parents avaient une situation stable lorsqu’ils ont eu leurs enfants, puis ont basculé dans la pauvreté à cause d’un accident de la vie (maladie, chômage, séparation, logement perdu, inflation, etc.)
Finalement, l’appauvrissement n’est pas une faute individuelle, mais un problème structurel. Empêcher les plus fragiles d’avoir des enfants n’est pas la solution. En revanche, garantir à toutes et à tous l’accès aux besoins essentiels, tels que l’hébergement, la santé, l’éducation et l’hygiène, règlerait beaucoup de problèmes.
« Ils ont un smartphone, donc ils ne sont pas en précarité. »
Dans certains cas, le
smartphone est un outil de survie. Il permet d’accéder à ses droits sociaux,
chercher du travail, rester en contact avec sa famille, appeler les secours ou
encore trouver un hébergement d’urgence. Sans téléphone, beaucoup de démarches
sont impossibles aujourd’hui.
Confondre objets et conditions de vie est une erreur. On peut détenir un accessoire
technologique et être malgré tout en grande difficulté. En effet, la plupart
des personnes en situation de précarité récupèrent des modèles d’occasion,
donnés ou très anciens. Ce n’est pas un signe de richesse, mais de solidarité
ou de système D.
En bref, posséder un smartphone ne sauve personne de l’instabilité. C’est surtout un outil indispensable pour tenter de s’en sortir.
Pour conclure, ces idées reçues ont toutes un point commun : elles stigmatisent les individus en difficulté au lieu de regarder en face les vraies causes de la précarité en France. Ces phrases simplifient une réalité beaucoup plus complexe : la précarité hygiénique, comme la pauvreté en général, ne se résume pas à un choix personnel. C’est le résultat d’inégalités sociales et économiques qui touchent près de 11 millions de personnes en France.